Le 28 janvier, jour où le Président américain Donald Trump a révélé le « Deal du Siècle », une femme est assise dans une voiture de location dans la colonie de Kedumim. Elle est en train de taper sur son téléphone alors que des coups de feu venant de Kufr Qaddum, village voisin, retentissent. On peut également entendre les grondements des véhicules de l’armée, en provenance du village palestinien se situant à quelques centaines de mètres à l’ouest de la colonie.
La femme poursuit sa route vers le sud, en direction de la sortie principale de Kedumim, et je continue vers l’ouest en descendant la rue Nahlah. De l’autre côté de la route, je vois un élève d’école primaire rentrer chez lui à pied et une voiture de service du conseil des colons passer. Une journée comme une autre dans la colonie.
Après un court moment, j’arrive à la maison la plus à l’ouest de Kedumim, nichée le long des oliveraies de Kufr Qaddum. Il est probable que cet endroit devienne bientôt un autre jalon des frontières internationales d’Israël si le plan Trump est mis en œuvre et qu’Israël annexe les colonies.
Kedumim a été établie en 1975 suite au tristement célèbre « compromis de Sebastia ». Les colons de Gush Emunim sont parvenus à un accord avec le Premier ministre de l’époque Yitzhak Rabin et le Ministre de la Défense Shimon Peres pour fonder une nouvelle colonie en compensation de leur mise à l’écart du territoire qu’ils avaient investi à la gare ferroviaire de Sebastia, adjacente à un village palestinien du même nom dans le nord de la Cisjordanie. Cependant, de nombreuses années avant cela, la rue Nahlah était la route utilisée par les résidents palestiniens de Kufr Qaddum pour accéder à Naplouse, la grande ville la plus proche.
Mais un tronçon de cette route faisant deux kilomètres serpente entre les oliviers et les champs à l’est de Kufr Qaddum, là où Kudumim a été établie 45 ans auparavant. De plus, cette route est fermée aux résidents palestiniens de Kufr Qaddum depuis deux décennies. Alors que la lutte populaire s’est pour l’essentiel atténuée en Palestine occupée, le village est l’un des derniers endroits à connaître des manifestations presque hebdomadaires le vendredi, pour protester contre la fermeture de la route.
Kufr Qaddum est loin d’être la seule communauté palestinienne en Cisjordanie à voir l’un de ses points d’accès bloqué par l’expansion des colonies. Par exemple, la colonie de Kiryat Sefer a englouti la route Bil’in-Safa. La colonie de Maale Adumin a absorbé la route Abu Dis-Jericho. La colonie Neve Daniel a avalé une route locale qui reliait entre eux plusieurs villages palestiniens à Nabi Daniel.
De plus, la plupart des zones que l’armée a allouées aux colonies est constituée d’enclaves et de territoires discontinus, y compris des domaines agricoles que les autorités israéliennes reconnaissent comme des terres privées palestiniennes. Ainsi ces zones ne peuvent officiellement, dès le départ, pas tomber sous la juridiction des colonies.
Cela peut paraître étrange pour quiconque pense à l’aménagement du territoire en des termes conventionnels – comme un endroit où des gens normaux souhaitent vivre d’après des règles n’impliquant pas des vols de propriétés. Cependant, la Cisjordanie n’est pas un endroit normal et l’allocation des terres et le système de planification qu’Israël a imposé sur la région fonctionne selon un principe organisationnel supérieur : voler et piller à loisir, puis réfléchir à quoi faire du butin.
Par ailleurs, il n’existe qu’un lien aléatoire entre les domaines de compétence officiels et réels des colonies. La raison est que les colons font essentiellement ce qu’ils veulent et que les autorités chargées de faire respecter la loi ne le font pas. C’est ce qui s’est produit avec Kedumim : la superficie cumulée des sept enclaves allouées et des zones non limitrophes est de 3300 dunams [330 km²], alors que les colons affirment que la communauté siège sur environ 6000 dunams [600 km²]. D’où est-ce que les 2700 [270 km²] dunams supplémentaires viennent alors ?
Kedumim se trouve aujourd’hui entièrement sur les terres de Kufr Qaddum, dont l’armée a « fait don » aux colons au nom des résidents palestiniens. Cela a commencé avec l’armée israélienne publiant une série d’« ordres militaires temporaires de saisie pour des besoins sécuritaires » entre 1970 et 1978, expropriant plus de 450 dunams [45 km²] de terres dont plus de la moitié a été donnée aux colons.
Des photographies aériennes prises en 1970 montrent la zone acquise cette année-là. La base militaire de Kadum se situe dans la partie sud, à l’endroit où une base militaire jordanienne s’est trouvée jusqu’à 1967. La zone nord est devenue, au fil des années, le point de départ de la colonie de Kedumim et de la petite zone industrielle adjacente. Au nord de la colonie, la route reliant Kufr Qaddum à Naplouse peut être clairement vue.
En 1979, dans la pétition pour Alon Moreh, la Cour Suprême israélienne a jugé qu’il était illégal de restituer des terres palestiniennes que l’armée israélienne s’était appropriées, prétendument à des fins militaires, pour la construction de colonies. Peu après, Israël a commencé à déclarer de vastes étendues de terres autour de l’ordre de saisie, appartenant aux résidents de Kufr Qaddum, comme étant des "terres étatiques", afin d’étendre les colonies.
Des images aériennes de 1983 montrent clairement que les « terres étatiques » remises aux colons n’étaient pas en continuité avec le cœur des colonies car il y a – et il y a toujours – des oliveraies possédées par les résidents de Kufr Qaddum dans ces espaces. Les résidents palestiniens ne peuvent accéder à certaines de leurs plantations qu’à l’occasion de jours déterminés et prévus chaque année, alors que la plupart de ces terres reste totalement inaccessibles. Déjà au début des années 1980, Kedumim avait tellement grandi que les bords de la colonie s’étendaient jusqu’à 2 kilomètres (1,24 miles) au nord de son cœur.
Comme les photos aériennes de 2019 le montrent, c’est le point le plus au nord que Kedumim ait atteint, même quatre décennies après sa création. Les immeubles qui ont été construits depuis se trouvent principalement dans les limites sud et nord de la colonie.
Alors comment ces groupes disjoints sont-ils censés former une seule et même colonie continue en Cisjordanie ? Selon Daniella Weiss, leader des colons et ancienne maire de Kedumim, il suffit de construire une route qui passe par les oliveraies de Kufr Qaddum. L’étude plus approfondie d’une photo aérienne de 1983 montre qu’une route de la partie sud, qui fait partie de l’ordre de saisie, fait irruption dans la partie nord vers la route Kufr Qaddum-Naplouse.
L’expansion de la colonie au nord a été le coup de grâce pour la route Kufr Qaddum-Naplouse. Au fil des ans, à mesure que Kedumim s’étendait et se déployait sur plus de dix collines, la route est devenue un instrument de croissance pour la colonie et tout ce que les colons avaient à faire était d’attendre une opportunité d’y bloquer le trafic palestinien.
Cette opportunité s’est manifestée durant les premières années de la deuxième Intifada, qui a surpris les colons de Kedumim au milieu d’une campagne de prise de contrôle agressive lancée quelques années auparavant. Cette campagne pour contrôler plus de terres autour de la colonie comprenait les habituelles formules de colonisation : la création de nouvelles routes, le blocage violent de l’accès aux zones autour de la colonie et la construction d’avant-postes.
C’est comme cela que, à la fin des années 1990, le Mont Mohammad de Kufr Qaddum est devenu l’avant-poste « Har Hemed ». C’est également comme cela que le quartier dans lequel vit à présent le législateur d’extrême droite et Ministre des transports Betzalel Smotrich a été construit en 2004.
Photo : Des colons juifs israéliens marchant à proximité de la colonie de Kédumim en Cisjordanie occupée, le 25 avril 2019. (Hillel Maeir/Flash90)
Traduction AFPS